Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait.
La transformation d'un théâtre en atelier artisanal en moins de 3 semaines
Les anciens gradins de la Fabrica laissent maintenant place à une mezzanine d'où l'on peut contempler la scène, dernier vestige du temps passé. Ce plateau, dont le mur principal garde encore la trace d'une médaille d'or en pressage d'huile d'olive, sert maintenant d'atelier. A droite David nous prépare les vélos collés : de la fabrication du cadre au montage complet du vélo. Au centre, Erwan gruge et soude les cadres en titane et en acier, qu'Aloïs ( à gauche), transformera en vélos complets. La scène est finalement bien occupée, tout comme l'orchestre qu'il nous reste encore à équiper de multiple bacs de rangement inclinés comme dans une épicerie d'antan. L'Agora ( la porte de droite ) nous emmène d'abord vers l'espace peinture des cadres aciers et d'anodisation des titanes. Geoffrey a pris le relais depuis peu face à cette aspirateur géant et son four à pizza sans clayette. Tous les chemins mènent à Rome, ou plutôt au sous-sol où se trouvent l'espace emballage, les cabines de sablage... et la future recyclerie. Par la porte de gauche entreront "les gens de la campagne" avec leur vélos à faire réparer. Nous avons respecté à la lettre les codes théâtraux de l'antique, à part les gradins plats bien sûr !
La vie est une pièce de théâtre
Covid oblige, nos relations sociales et nos droits fondant comme neige au soleil, il était temps de sociabiliser notre lieu de travail. Bar privatif et cuisine mitoyenne, salle de danse ou de concert, mezzanine pour le yoga, bureau de co-working... on peut tout faire dans ce tiers-lieux à condition que Gabriel soit d'accord. Laura est d'ailleurs la première à l'avoir investi. Elle a jeté son dévolu sur la salle du fond au premier étage : la plus éloignée du bruit de l'atelier Caminade. Elle a besoin de silence pour l'accompagnement périnatal et nous allons l'aider à en obtenir. Elle partage aussi nos moments de convivialité au bord du poêle, le PC sur la grande table de co-working, mon ( notre ) bureau géant ! La facilité aurait sans doute été de s'installer dans un hangar rectangulaire en bordure de ville dans la ZA abritant l'hypermarché : "the place to be" quand on voulait tracter pour une élection dans le monde d'avant les masques.
L'imaginaire collectif
Travailler la semaine pour s'éclater le week-end... travailler toute l'année pour s'évader pendant les vacances... travailler toute une vie pour profiter de sa retraite : tel était le contrat social promis par nos élites. Comme de plus en plus de monde, nous avons décidé de mettre un coup de canif dans ce contrat et de construire notre propre réalité imaginaire. D'abord dans le périmètre de notre théâtre puis dans notre village qui avoisine la taille antique idéale de 5040 habitants. Certains d'ailleurs l'ont bien compris, je pense à Alban, le jeune charcutier ou Matias son collègue le boulanger de la place, qui auraient pu choisir la facilité en fuyant le petit commerce rural, mais ont préféré la proximité du client avec un produit fabriqué et vendu en local, aux yeux et à la barbe des réchauffeurs de pains ou autres hyper-super-marchés. C'est dans leur sens que nous voulons aller en profitant de notre tiers-lieux pour cela. Notre volonté est de l'offrir régulièrement aux producteurs locaux qui n'ont pas encore de lieu de vente ou tout simplement pas le temps de vendre : maraicher, éleveur de poules, brasseur, éleveur de cochons, etc... si comme nous, vous y croyez, créons ensemble un petit marché d'irréductibles producteurs !
La pédagogie par l'exemple
Alors oui, certains vont me dire que c'est un coup d'épée dans l'eau, que ça ne va concerner que quelques néo-ruro-bobo-jeuno et que le système n'en sera pas changé pour autant. Pourtant moins de 1% des français, nos élites, arrivent à nous contraindre toujours plus en jouant sur nos peurs. Les Gaulois avaient juste peur que le ciel leur tombe sur la tête, nous, on a peur du changement : " Fabriquer des vélos en France, impossible ! " ... pourtant c'est grâce à la vente de nos vélos que nous arrivons à financer ce tiers-lieux. Erica Chenoweth, dans "The success of nonviolent civil resistance" estime qu'il suffirait que 3,5% de la population montre un autre exemple de société pour que le système change de direction : chez nous à Ille sur têt, c'est moins de 200 personnes. Ce phénomène est d'ailleurs le même que dans un groupe d'élèves où la tête de classe et la queue de classe vont servir de référence à l'ensemble du groupe. Une tête de classe hors sol nous emmène droit dans le mur, c'est maintenant aux terrestres de montrer la voie.
L'exemple
La métamorphose de la Fabrica n'aurait pas été possible sans nos 2 woofers... compagnonnage des temps modernes : un tour de France pour apprendre un métier. Comme Etienne, le charpentier, pour chercher une voie, un idéal de vie, une terre où poser ses valises. Ou comme Maël, l'électricien désigné d'office, qui a démissionné de son premier poste d'ingénieur pour un ailleurs non encore vraiment défini et qui nous a juste demandé d'avoir le droit de passer quelque temps dans l'atelier une fois celui-ci remis en marche. Mais que se passe-t-il dans la tête de ces woofers qui préfèrent le gîte, le couvert et les relations sociales qui vont avec à un salaire confortable coincé entre le marteau et l'enclume. Ils ne croient plus en la réalité imaginaire, la fiction qu'on leur vend ne correspond pas à la réalité des faits. Ils ont tous simplement envie d'une autre société, d'une construction sociale différente. Même s'ils en sont pas encore conscients, ils font partie de ces 3.5% qui vont faire basculer le système, à condition bien sûr qu'ils se préoccupent d'abord de leur bonheur personnel dans le respect des autres.
Le 17 octobre 2012, je faisais ma première sortie VTT sur Corbère au guidon d'un Caminade... 8 ans se sont écoulés jour pour jour quand nous avons rallumé les machines à la Fabrica. Forte de ses 6 maillons, notre petite entreprise a maintenant atteint un bon équilibre. Sylvain a dû choisir entre sa vie à Paris et la communauté Caminade, mais il restera l'étincelle qui a mis le feu à ma volonté d'entreprendre.
Brice EPAILLY
Parution : 15/10/2020