La propagande par le fait

La propagande par le fait

Voilà maintenant 6 mois que je suis arrivé dans les PO, 6 mois de rencontres, de découvertes, de paysages. Un changement de vie n’est jamais simple, se retrouver à 10 heures de route de sa famille et de ses amis. Retrouver la vie de camion, face à ses pensées avec ce goût bizarre : cette sensation d'être chez soi partout et nulle part à la fois. De voir le monde tourner sans nous tout en transformant le présent en passé. Mais cet exercice peut s'avérer extrêmement bénéfique si on se donne les moyens d'écouter et d'apprendre de ce nouveau monde. 

Et voilà que maintenant on me demande d'écrire pour être lu, une première pour moi, je vais donc essayer de raconter ce que l’on ne voit pas. L’envers de la cagoule, le hors-champ.

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Un porteur de sens

Depuis mon premier jour en Catalogne avec le KO de Geo et les calçots de David j'entends parler de porteur. Voilà de quoi avait besoin la communauté.

Le ton était donné, il ne me restait plus qu’à me plonger dans un exercice que je n’avais pas eu l'opportunité de faire depuis bien longtemps et qui sans le savoir me manquait terriblement. Je craignais ce processus de création, sans aucune contrainte du début à la fin, l'échec est si vite arrivé et les opportunités tellement rares. Mais les choses se sont goupillées si simplement. La maison Caminade, c’est une certaine vision de la liberté et de la confiance. Une production et une affirmation d'amitié, une franchise assumée et directe qui se fait tellement rare de nos jours. 

Un porteur que j’ai délibérément fabriqué seul face à moi même, en partie de nuit où le jeu des ombres et de la lumière se révèle. Un moment si particulier durant lequel la fameuse magie de l’émerveillement et de l’ivresse naît. L'émotion est le moteur. 

On m’a dit un jour, la joie ne se trouve que si on la travaille, et pour la travailler, il faut de bons outils. 

EINA en catalan et BIM le tas de ferraille avait déjà un nom. 

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Un vélo gorgé d'âme 

Les matériaux étaient tous choisis : bois, cuir, acier quoi de plus noble, naturel et gorgé d'âme. La soudo-brasure aussi, mes premières amours simples et accessibles à tous. Ses longues heures de polissage finissent par laisser apparaître des courbes tellement sensuelles.

Les courbes parlons-en, un Caminade sans cintrage, une hérésie pour certains. Il fallait donc que je cintre, le cintrage n’est pas un exercice simple. Il y a une part de je ne sais quoi dans chaque tube. Observer la matière prendre la forme, la sentir sous ses mains. Capter l'essence du moment quitte à créer une rupture avec tout le reste rend ce métier tellement intéressant.

20 ans de bmx n’auront pas laissé que des cicatrices, des douleurs au dos et une cheville en forme de patate. Mais aussi le goût des petites roues et des vélos compacts. Ça sera 20 pouces à l’avant et 24 à l'arrière pour plus de maniabilité bien sur. Et la transmission ? S'il y a bien une course à l’armement c’est sur les transmissions : 12, 13 vitesses, électrique, hydraulique... Un retour à la réalité, à quelque chose de plus humain me semblait nécessaire. Le Retrodirect inventé juste après la roue libre, il y a une centaine d'années et démocratisé après guerre par le célèbre Manufrance. On pédale en avant une vitesse, en arrière une autre, simple et déroutant à la fois comme si on pouvait revivre notre premier coup de pédale de gosse. 

Une petite contribution à ce formidable passé cycliste français hallucinant d'ingéniosité et de fiabilité que l’on essaie de faire perdurer avec humilité et auquel je tenais à rendre hommage tant ils m’ont inspiré ces dix dernière années. 

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Un porteur, pratique et utile simple et concret, loin des réalisations qu’on a l'habitude de voir ou de présenter. Une autre vision de la bicyclette parce qu’un vélo n’est pas l'abstraction détachée de tout contexte. Bien sûr tout le monde se l’approprie comme il le veut mais le vélo est intimement lié à la manière dont il a été fabriqué. Il se nourrit de l’histoire humaine qui se trouve derrière. Plus encore, il se nourrit des risques qui ont été pris. Ces véritables bouts d'aventures et d'expériences qui au delà de tous les artifices provoquent des sensations qu’aucune autre production asiatique ou de série ne pourra jamais égaler. 

On ne peut malheureusement rien sur les faits de ce monde mais on peut quelque chose sur le regard à y porter, car chaque choix peut devenir porteur de sens.

L'entraide d'abord

Eina te voila née, l’œuvre existe, immortelle, elle est autonome, dans cette vie programmée où le rêve est artificiel, il ne te reste qu'à exister. Mais surtout n’oublie pas de t'épanouir dans l'entraide et non dans la compétition car le bonheur de chacun passe par celui de tous. Sache que tu ne seras jamais une marchandise, ou un sous-produit d’un mode vie devenu obsession. 

Tu ne produiras qu’un peu de vent pour les quelques insectes qui voleront parfois autour de tes roues, un peu de vent dans une société boulimique qui en produit beaucoup et souvent violent. Accompagne dans tes trajets quotidiens notre communauté de proximité. Aide nous à garder ce contact vital avec le réel que l’on garde éveillé dans nos cœurs et dans nos esprits. Ouvre les portes, fais effraction, montre nous la route, que l’on arrête de se persuader du bonheur.

Le plus dur reste à faire, vivre, maintenant!

Texte : Erwan                           

Photos : Gaétan Clary & Geoffrey

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Parution : 19/11/2019