Trajectoire d'un bonheur annoncé

Trajectoire d'un bonheur annoncé

Quand tu te retrouves immobilisé pendant quelques jours, tu a le temps de réfléchir à ton parcours. Celui qui t’a mené dans l’ambulance, mais surtout celui qui t’a permis de bien négocier un tournant professionnel compatible avec tes valeurs....

David RAMON

Depuis ma plus jeune enfance mon avenir professionnel avait une grande importance. La question de " qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras plus grand ? " occupait sans cesse mon esprit. Sans doute guidée voire inculquée par ma famille, qui a subi l’exode Espagnol et passé sa vie à exister au travers des valeurs de son travail. Passionné de montagne, de sport automobile et de vélo j’ai essayé sans cesse de trouver ma voie idéale au travers de ces axes-là. Bien élevé, j’étais un bon élève sage, déjà consciencieux et dynamique. Rapidement je sens que l’école n’est pas faite pour moi et que j’ai besoin de faire quelque chose avec mes mains. Je sors donc rapidement du cursus scolaire classique pour rejoindre mon beau-frère Artisan Carrossier, formé auprès des compagnons de France. Ce passage à ses côtés m’aura apporté le sérieux nécessaire à un travail de qualité. Mais comme la chèvre de Mr Seguin qui regarde la montagne, je manquais d’air et de mouvement, d’où l’idée d’intégrer la police nationale pour aboutir en interne au petit milieu du secours en montagne. Le sort en a décidé autrement : à 20 ans, je me fais recaler au concours de gardien de la paix, mais j’intègre l’équipe commerciale de Peugeot à Perpignan où durant 18 ans, je fais mon trou.

Ce week-end, c’était Laps and Laps au Bike Park des Angles : un event organisé par les copains de Geoffrey qui s’est cru obligé de monter une équipe Caminade. Pas besoin de trop me pousser  pour ce genre de plaisanterie, je me porte donc volontaire, trop impatient de remonter sur mon SimpleTrack. Sylvain est aussi de la partie, Erwan s’est motivé pour rouler sur autre chose qu’un BMX. On était donc 4, hors de question d’utiliser deux véhicules, on décide d’opter pour la solution remorque de chantier tractée par la 205 WRC de Geo.

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Plan A : Dés potron-minet Geo me récupère et direction l’atelier Caminade. Erwan est embêté pour nous accompagner : on met le chien où ? Bon beh, c’est pas aujourd’hui qu’Erwan va faire du VTT ! Mais même à 3 avec une remorque et 3 vélos, la vieille lionne peine déjà dans le col de Ternère : le voyant rouge s’allume, elle a chaud aux fesses.

Plan B : Demi-tour direction Ille afin de récupérer la voiture de Sylvain. On se démerde comme on peut pour loger les 3 vélos dans le vieux break BM. Reste à faire le plein à Prades, où la pompe à eau décide de pas aller plus loin. Coup de bol, des collègues passent et nous prennent les 3 vélos.

Plan C : Quelque chose me dit qu’il ne faut pas monter aux Angles aujourd’hui. On retourne pourtant prendre la 205 allégée de la remorque et des vélos pour arriver juste à temps au Angles, car l’organisation a repoussé le départ juste pour nous : forcément on avait la plaque n° 1. 

Dans la vie on fait des rencontres plus ou moins durable, mais il y en a certaines qui vous suivent et peuvent chambouler radicalement votre vie. Issu d’une famille de champion cycliste, je prends mon premier départ à l’âge de 15 ans. Sur route bien, puis le VTT débarque en France et pour mes 25 ans mes potes se cotisent et m’achètent mon premier VTT. Première course en coupe départementale Ufolep où je rencontre un mec sec comme une figue, avec des muscles que nous n’avions pas et qui gagnait toutes les courses. Le gars qui peut vite t’énerver. Derrière cet ours anorexique ce cachait un ami et mon futur "patron".

Départ en ligne type 24 heures du Mans moto. Nous choisissons Sylvain pour faire le START ( le routard de la bande ) quelle idée nous a pris ! C’est avec surprise après avoir chercher son vélo planquée par l’organisation que Sylvain s’empare de la dernière place entamant une majestueuse traversée pédestre de la passerelle surplombant la piscine gonflable. Chapeau, The Grip, ou plutôt Casquette. Les tours s’enchaînent. Géo s’éclate et s’envoie en l’air avec son ChillEeasy, c’est limite insolent ce qu’il arrive à faire avec ce bike. Je reprends mes marques sur le SimpleTrack qui est un régal de précision, malgré son absence de suspension arrière qui impose un pilotage fin et précis : ce que j’adore ! Je dois tenir ça de mes 8 ans de Rallye auto.

Après 20 ans à essayer de donner du sens à ma vie professionnelle, je n’ai pas atteint mon objectif. Retour à mes glorieuses années chez Peugeot où l’envie de voler de mes propres ailes me chatouillait l’esprit. L’envie de donner une qualité de vie meilleure à ma famille. Je décide de m’installer comme Artisan Taxi. Pourquoi ce choix? L’automobile, le plaisir de conduire, l’évasion ou l’envie de bouger peut être aussi, ou tout simplement être à son compte. Un investissement avec une prise de risque colossale. Cela c’est terminé après 5 ans de folie où je me suis retrouvé désocialisé de ma famille et de mes amis. Retour forcé à mon ancien métier où mon CV de vendeur avait encore du poids. J’intègre donc très rapidement un grand groupe automobile de Perpignan. Me voilà donc revenu dans le monde de la pression psychologique, des objectifs de vente inaccessibles et des incompétents responsables.

Dans le télécabine avec Geo, nous en profitons pour discuter de la chance que nous avons d’œuvrer pour Caminade, de notre avenir. On travaille ensemble, on parle beaucoup, mais je n'avais pas encore parlé de mon parcours, ma rencontre avec Brice et comment un jour de Février lors d’une sortie ski de fond nous avons échangé sur nos avenirs respectifs. Le mien, maussade, et le sien, bloqué dans une phase de recrutement pour s'occuper de la 2ème chaîne de production. Brice venait de me présenter la vie professionnelle que j’espérais, sans s’imaginer que j'allais postuler. Il savait que je gagnais bien ma vie dans les bagnoles, mais je lui avoue que je ne trouve plus de sens à mon métier et que j'étais prêt à diminuer mon salaire, me passer de voitures neuves de fonction et des costards cravates pour refaire travailler mes mains en fabriquant des vélos. Faire partie de ce projet était devenu une obsession. J’ai rappelé Brice en lui disant que, s’il était d’accord, je démissionnerai dans la foulée de mon poste ( qui fait encore rêver les carrieristes du commerce automobile ) pour apprendre ce nouveau métier. 

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Nouvelle descente vers la station, je laisse partir les furieux pour prendre mon rythme de quinquagénaire, concentré sur la trajectoire, sauf la dernière, que je décide de changer, pourquoi, je me le demande encore ! Dans une région où le VTT a été popularisé par la descente du train jaune, moi à l’instant, j’ai eu l’impression de le prendre dans la gueule. Arrêt buffet, je me relève après l’impact, j’ai l’impression qu’il s'est passé quelques chose de plus grave que mon guidon tordu. Rien ne va plus, l’épaule est molle et en passant la main sur ma clavicule, j’ai l’impression de toucher mon coccyx. Descente aux enfers vers la station, petit malaise, pompiers direction Puigcerda et rapatriement par ma douce qui est montée de la plaine me sauver des bouchers espagnols.

A cet instant précis, je réalise la trajectoire que j'ai donné à ma vie professionnelle et la chance que j'ai de pouvoir vivre de ma passion. Me lever le matin avec une énergie et une envie que je n’avais jamais ressentie dans mes anciens boulots. Prendre mon vélo fabriqué de mes mains pour rejoindre l’atelier le long du canal, à travers les vergers de pêchers, tout en regardant la nature au petit matin évoluer au fil des saisons. Sans la moindre contrainte horaire aussi : et oui, chez Caminade ça marche comme ça. Nous connaissons bien en avance le travail que nous devons réaliser ce qui nous permet de nous organiser comme nous l’entendons : c’est l’entreprise libérée. Ce qui te donne clairement l’envie de te lever le matin en étant fier de donner du bonheur aux gens en fabriquant le vélo de leur rêve.

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 100 cadres, ça se fête !

Certains se tatouent quelque chose sur le corps pour immortaliser un évènement ou une personne et bien moi, le lendemain d’avoir collé mon 100° cadre titane en 1 an, je me faisais visser une belle plaque en titane le long de la clavicule : chacun son truc...

Si vous avez lu cet article jusqu’au bout, c’est que forcement vous êtes des passionnés de vélo. Dans l’atelier nous le sommes tous. Nous sommes aussi polyvalents dans nos tâches. Tout est prévu pour ne pas pénaliser nos clients et éviter de modifier nos délais de fabrication. Brice a pris le relais pour finir les cadres et Geoffrey va s’occuper du montage des 12 vélos du mois ( les miens et ceux d’Erwan ) que Sylvain emballera à ma place...

Parution : 20/09/2019