Le cyclisme de route se réinvente
Texte Sylvain Renouf
Photos Romain, Thomas & Sophie
Ahhh le vélo sur la route, un épineux sujet chez Caminade, au coeur de nos préoccupations mais pour lequel nous avons du mal à faire comprendre notre positionnement bien éloigné du pur coursier avec son vélo en carbone sorti tout droit du Tour de France et ses jambes parfaitement épilées. Ok nous faisons des vélos avec du rendement et qui répondent quand on appuie sur les pédales mais c’est avant tout le cheminement qui nous motive, ses paysages, ses rencontres et ses imprévus. Prendre le temps et savoir sortir la tête du guidon.
Back in the days, la route n’est pas absente de notre ADN. Gamin mon père et mon oncle m’ont emmené en Vallée de Chevreuse arpenter le bitume et jusqu’à 25 ans je roulais tous les week-end dans les paquets parisiens, m’entrainais en semaine pour participer à des cyclosportives et regardais assidûment le Tour de France. Une seule chose occupait mon regard pendant mes sorties, les indications de mon compteur de vitesse !
Avec mes premiers boulots d’étudiant je m’étais offert un vélo en acier au cadre sur mesure, équipé tout Campagnolo (la seule marque de route alors légitime à mes yeux) et roues Mavic. On trouvait beaucoup de boutiques parisiennes (La gazelle, La Roue d’Or, Cycles Darnois, etc…) souvent tenues par d’anciens coursiers, proposant l’étude posturale et faisant fabriquer le cadre acier chez un artisan en France ou Italie. Le carbone n’avait pas encore installé sa domination dans les esprits et j’avais pris plaisir à choisir mes tubes Columbus. Question géométrie ce ne fut pas une réussite et il a fallu attendre ma rencontre avec Brice pour être enfin bien posé sur un vélo ! Comme quoi ne s’invente pas “sorcier” du sur mesure qui veut.
Et puis la route m’a passé, marre de rouler au milieu des voitures, de ne parler que de moyennes et de course au matos. Le VTT m’a attrapé, m’ouvrant les portes des forêts et remisant mon route au fond de la cave.
Chez Caminade, avant même de fabriquer un vélo gravel, nous avions fait un route en acier. La forme très cintrée du top tube était trop avant gardiste par rapport aux codes des routiers et notre Route66 ne connut pas le succès qu’il méritait. Mais qu’importe, nous avons su évoluer et notre proposition actuelle balaie un spectre large de pratiques (de la cyclosportive à l’endurance) et de matériaux (acier, titane, carbone) et bien entendu en sur mesure.
Le temps passé et ces efforts mis à développer notre offre m’ont redonné l’envie de rouler sur route et même de rouler longtemps en attrapant le virus de la longue distance inoculé par ma BTR 2016. Elle marqua ma rencontre avec François Paoletti que j’ai retrouvé cette année sur la BTR 2019. Il allait créer le Classics Challenge, un rendez-vous gratuit une fois par mois au départ de Paris pour aller rouler une belle trace direction la province. La formule a trouvé son identité et Le Classics rassemble à présent plus de 300 cyclistes à chaque sortie. J’avais donc très envie de le découvrir et surtout de me mêler à ces routiers que la rumeur disait justement ne pas être des routards ordinaires !
Le “melting-pot”
Paris, samedi 8h du matin, Classics Challenge #09, j’y suis. Le parcours du jour nous emmène à Houdan via une trace de 147 KM imaginée par Romain le talentueux traceur du CC. Des groupes de niveaux se constituent en se basant sur une allure prévue, un peu comme en course à pieds, pas bête mais on en revient toujours à ce rapport à la vitesse. Le 37-35km/h s’élance en premier puis les suivants tous les ¼ heures. Les cyclistes affluent, il y a aussi des filles, pas mal de filles. Des vélos en carbone, en acier, quelques titane, chers, pas chers, un beau patchwork de ce qui existe sur 2 roues. Côté look pas vraiment de répliques de Sagan ni d’Alaphilippe, même si dans les groupes des plus rapides les codes de la course sont bien présents. Mais dans l’ensemble on sent que chacun travaille son style pour affirmer son identité. Beaucoup se connaissent, ont fait presque tous les CC, d’autres participent pour la première fois. La cordialité prime, on est loin de l’attitude “I am parisien I love rien”. Cette impression va se confirmer en roulant. Avec le petit groupe mené par François, nous nous élançons en dernier, une sorte de groupe balais appelé à remonter les participants si on appuie assez fort sur les pédales.
Tu ne rouleras jamais seul
Cela pourrait être la devise du Classic Challenge. Les participants s’égrainent tout le long du parcours. Pas besoin d’avoir la trace GPS, tu rattrappes ou te fais rattraper par quelqu’un qui devient ton nouveau compagnon de route. Les cafés et boulangeries des villages sont les derniers endroits à la mode où l’on cause. Certains villages du Vexin n’ont jamais vu autant de monde un samedi matin. A toi de trouver ton rythme, de prendre le temps en haut de la côte d’embrasser du regard les boucles de la Seine ou ce groupe de sangliers qui traversent les champs pour gagner l’abris de la forêt. Ce voyage me plaît, entre sportivité et contemplation même s’il faut serrer les dents face au vent contraire de ce fichu Vexin.
Une ouverture sur la longue distance
Certainement un des ingrédients du succès du CC, le format n’est pas celui d’une course de quartier ni de la sortie du dimanche matin où tu es rentré à midi pour le gigot. Il ne faut pas coincer quand on passe les 80 KM. Rouler plus de 150 bornes est une autre histoire, fait appel à des qualités d’endurance et apprend à se connaître. Tout pour me plaire, moi qui commence à me sentir bien après la 3ème heure !
Au départ un participant me disait qu’il n’avait encore jamais fait une sortie de plus de 100 KM, il abordait ce CC comme un véritable challenge, un voyage personnel vers de nouvelles sensations. Il ne sera certainement plus le même lundi matin en allant bosser.
Un vélo pour tout faire
“Les conseilleurs ne sont pas les payeurs.” Chez Caminade nous adoptons la démarche inverse, nous sommes nos premiers clients. On essuie d’abord les plâtres, testons nos idées et approches avant d’en parler. Sur Paris je ne peux pas me permettre d’avoir de multiples vélos en fonction de ma pratique. Mon fidèle Gravel acier, soudé il y a quelques années par Mika, fait office de couteau suisse, une paire de roues typée route en 700x25 et une deuxième typée gravel en 700x40, un vélo pour tout faire comme nous aimons à le dire.
Coté vestimentaire, il faut aller au bout de sa logique, en l’occurrence ici “tomber le Chino”.
Quand l’imprévu magnifie la journée
300 cyclistes qui assiègent la gare SNCF de Houdan, même étalés sur l’après-midi, peuvent faire peur à un chef de gare certainement déjà allergique au vélo. Voilà que ce responsable appelle la police, s’agite en panique comme au bord d’une catastrophe et réussi à faire venir pas moins de quatres voitures. Les policiers prenant la mesure de cette situation grotesque cherchent à calmer le fonctionnaire mais rien n’y fera, il refusera que nous montions dans les TER avec nos vélos, à moins de démonter les deux roues et de tout emballer dans un sac poubelle.
Pourquoi subir ces contraintes alors que le vélo est un outil de liberté ? Je décide donc de rentrer à vélo. Je me joins à Romain, Sophie et Géraldine et nous voici taillant parmis les petites routes des Yvelines avec le Soleil couchant pour nous éclairer jusqu’à Paris. Moi le parisien je découvre encore des chemins comme cette improbable arrivée par la piste cyclable directement sur le château de Versailles. 220 KM au final de cette belle journée.
Vous l’aurez compris je recommande Le Classics Challenge, l’esprit qu’il véhicule rejoint notre approche du vélo de route et nous nous reconnaissons assez bien dans la majorité des participants. Rouler pour profiter du voyage, ouvrir les yeux et s’ouvrir aux autres...
Parution : 06/11/2019