Les pieds dans l'atelier

Les pieds dans l'atelier

Entre les sept dernières années passées à Bruxelles et mon retour dans la campagne Pyrénéenne, un élément ayant son importance a perduré : le plaisir et la nécessité de me déplacer à vélo au détriment de la voiture. Il n’est pas dans mes principes de bénéficier d’une si grosse contrainte qu’est la voiture, sans en avoir une utilité fondamentale. Quand je me suis donc vue en recevoir une en cadeau, c'est sans rancune que je l’ai revendue. L’idée même de tourner en rond dans un parking à la recherche de la sainte place me réconfortait dans mon choix. Par la suite, ce sont les écrits d’Ivan Illich [1] qui n’ont cessé de nourrir mes convictions. Comme quelqu’un qui part à la recherche de la voiture idéale, j’ai commencé à rêver du vélo parfait. Naturellement mon intérêt s’est tourné vers Caminade. Investir dans un vélo titane sur mesure fabriqué en France n’était pas juste une idée dans le coin de ma tête mais une case à cocher dans la to do list.

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Seulement, je n’imaginais pas que j’en bénéficierais d’un si vite et encore moins que j’aurais le privilège de participer à sa réalisation. Un lutin de noël étant passé par là, c’est en enfant gâtée que je me suis retrouvée à la Fabrica. C’était partie pour l’étude posturale, première étape clé pour la conception du Gravel. Réalisée par Brice, elle a révélé que ce serait le plus petit vélo qui sortirait de l’atelier cette année. Du haut de mes 1,51m Brice n’a pas manqué de faire la grimace en rapportant les mesures sur l’ordinateur. Les grandeurs seraient-elles suffisantes pour ne pas avoir de couac lors de la fabrication ? Réponse le lendemain les pieds dans l’atelier.

Entourée des gars qui bricolent, j’ai eu le plaisir de me joindre à David le temps d’une matinée pour mettre les mains à la pâte. C’est donc entremêlé d’explications, de manipulations et des blagues d’Aloïs que ce tout petit vélo a été découpé, sablé puis collé. 

Après vingt-quatre heures de séchage et un dernier sablage, c'est un vélo presque entier que je pouvais contempler. C’est enfin aux côtés de Geoffrey que je me suis attaquée au montage avec, il faut le reconnaître, beaucoup beaucoup d’aide. Un moment de partage qui m’a finalement permis d’enrichir mes faibles notions de vocabulaire attribué à la famille des vélocipèdes. Sans tarder j’ai fait passer un petit test de conformité à mon vélo et c’est donc plus vite que prévu que je me suis retrouvée les pieds sur les pédales. Les tours de parking n’étant, de loin, pas son objectif de vie, c’est rapidement qu’il est parti à l’aventure.

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Nous voilà donc sur la route en plein hiver sur une fin de journée pour une escapade de Ille-sur-têt à Latour-de-France en passant par Montalba. Après un arrêt minute au Coq-à-l’âne, c’est chargé que nous sommes repartis, Geoffrey bien plus que moi, ce qui lui a valu du retard sur mes traces dans la montée. Une première qui a été suivie d’une petite vengeance pour calmer ma fierté. Me voilà convaincue sur le fait qu’un vélo confortable et adapté à ma personne, ça change la donne. Réticente au premier abord par le cintre H-bar dont le vélo est tout de même équipé, cette première sortie m’aura réconcilié avec l’idée d’en jouir. Il respecte ma physiologie et m’a directement mise à l’aise pour maîtriser la bête. Combiné à une transmission douze vitesses avec une cassette 10-50, normalement dédiée aux VTT, je savoure maintenant chaque montée et ce n’est pas négligeable.

Rentrés fatigués mais ravis, la seconde excursion ne s’est pas faite prier. Nous revoilà partis pour entamer le marathon des repas de familles et quoi de mieux que de s’y rendre sur son vélo? A mon tour je suis punie avec une remorque accrochée au derrière. Tel le père noël avec son traîneau, c’est un petit vélo bien attelé qui a pris la route, de quoi moins faire la maline. Le retour ne s’est pas montré plus clément puisque c’est un vent fort et glacial qui nous a raccompagné, un minimum nécessaire pour éliminer le repas de la veille.

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Troisième aventure de la semaine qui ne nous aura pas non plus épargné : l’ascension du col de Jau. Dans l’idée d’y faire une évaluation de l’enneigement pour potentiellement entreprendre un tour en ski de rando, c’est plein d’énergie que nous sommes partis de la maison en Gravel. Se fiant à la météo prévue, nous pensions avoir une journée ensoleillée.

C’est finalement un ciel gris et un air frais qui ont pris place. Pas de quoi nous démotiver, et c’est à bonne allure que nous sommes montés par la route de Mosset entremêlant discussions et méditations. Pour nous ôter l’appréhension du retour nous avions décidé de faire une boucle et de passer par Urbanya. C’est finalement cinq kilomètres avant d’arriver au col que le casse-tête a commencé accompagné de la première glissade et de la première neige pour mon tout nouveau vélo. Quelque peu déçus de ne pas avoir atteint le col, c’est un demi-tour forcé que nous avons entrepris. Gelés, on n’a pas cherché à discuter l’option de prendre le train à Prades pour finir le trajet et se réchauffer tant bien que mal. La bonne fatigue d’une sortie sportive n’a pas tardé à se faire ressentir et un chocolat chaud au bord du poêle aura suffi pour nous réconcilier avec cette aventure.

J’utilise mon vélo au quotidien que ce soit pour faire mes courses, aller travailler ou me balader. Aujourd’hui, son utilisation répond à des valeurs et un mode de vie choisi en pleine conscience et sans regret. Elle comporte ses difficultés mais surtout ses plaisirs. Un vélo entre les mains c’est également l’émergence de beaucoup de récits tous différents les uns des autres. Surtout quand il est adapté aux différentes activités citées. Entre confort et praticité, je me réjouis de l’embarquer, si ce n’est pas lui qui le fait, pour la grande majorité de mes excursions journalières. Le vélo est aujourd'hui l'une des activités qui permet une totale évasion, sans devoir partir bien loin. Finalement chaque sortie de proximité a ses petites subtilités qui en font des voyages à elles toutes seules. Alors pédalez et vous verrez… 

Texte: Laura Kollaard & Photos: Geoffrey Buisan



[1] Ivan ILLICH; Energie et Equité, 1973, Ed Le Seuil ;

Parution : 04/01/2021