Quand ton mari décroissant s’occupe de la St Valentin

J’aurais dû me méfier… ça fait plus de 20 ans que l’on se côtoie, et on n’a jamais participé de près ou de loin à cette foire commerciale de l’amour. Pourtant quand il m’a dit « cette année je te fais une surprise pour la St Valentin chouchou » j’avoue, j’ai lâché prise… Curiosité, micro AVC, qu’est ce qui m’a poussé à accepter on ne le saura jamais, mais on peut dire que je n’ai pas été déçue au final… je vous raconte ?

Hélène EPAILLY

Tout d'abord le cadeau, un concert des Fatals PIcards à Font Romeu le 14/02, sensé tomber en fin de séjour à la montagne. Oui mais… si nous n’avions pas eu de neige ou presque de tout l’hiver, fin janvier s’est abattu sur la Catalogne et une partie de l'Occitanie la tempête Gloria et son cortège de conséquences plus ou moins dramatiques… Pluie, inondations, neige, pas un temps à mettre un cycliste dehors, ni personne d’ailleurs. Bilan perso, une semaine sans vélotaf ce qui constitue l’essentiel de mon entraînement physique hors du commun (oui je vais au boulot en gravel, trop fière de faire mes 8km aller puis retour presque tous les jours depuis un an). Si bien que nous avons enfin eu de la neige, en abondance, bien lourde, bien chargée en flotte, de la bonne soupe à touristes, mais bon à 10j des vacances c’est bonheur pour ceux qui vivent de l’or blanc… Eh oui car il est vital pour la “vie” des hauts cantons (comprendre les villages d’Indiens perchés tout en haut de la RN116, qui traverse notre département d’Est en Ouest… mais où tous les investissements structuraux s’arrêtent à Prades au mieux). 

Donc j’en étais aux vacances d’hiver, idéalement placées pour le repos des enfants, pensez donc 5 semaines d’école depuis la rentrée de Noël, vive les rythmes pédago-businesso-pas-logique. Ben oui faudrait quand même pas que les 8% de privilégiés qui vont passer des vacances à la neige se marchent sur les skis, donc on étale les congés de tout le monde en dépit de toutes les études sur le chronobiologisme et compagnie….mais je m’égare, je disais donc de la neige à gogo, du soleil et des touristes prêts à payer plus de 40€ le forfait dans nos chères stations, que demander de plus ? Ben… un accès peut-être ? Eh oui car entre temps, la RN116, cet axe névralgique vers les stations catalanes, les clopes et l’essence détaxées andorranes, s’est un peu effondrée sur elle même. Oh pas beaucoup, juste un petit mètre entre les deux voies sur 100m environ, et un pan de montagne qui continue inexorablement de glisser vers le fond de la vallée… oups !!

Fini les vacances à la neige en mode fast and furious 1h chrono arrivée station, il faudra les “gagner” à coup de détours par des routes inadaptées à devenir déviations de nationale, pare-chocs contre pare-chocs, kilomètres et virages supplémentaires rajoutant 1 à 2h de trajet (et autant de potentiels vomis, tous les parents me comprennent…). Du coup, notre petit séjour à la neige en famille nous est apparu bien moins judicieux et nous avons décidé de rester en plaine pour profiter autrement des vacances… OK, OK, je parle, je parle mais les Fatals dans tout ça ? Brice, jamais à l’abri d’une bonne blague, me propose de nous rendre tout de même au concert prévu, en offrant la place à l’ami Geo qui du coup nous hébergera pour l’occasion, en vélo... surprise !! Restons calmes, ne nous emballons pas, tu veux dire on part de la maison en bike-packing, avec de quoi se changer pour sortir en montagne, et on revient le lendemain comme on aurait fait en bagnole ? c’est pas un tout petit peu subversif pour une St Valentin que nous n’avions jamais fêtée jusque là non… ? Tu es sûr que tu te sens me pousser durant toute la montée vu ma forme olympique ? Oui ? bon ben banco alors... et pour Geo ? c’est pas négociable vu que c’est lui qui nous héberge... bon ben OK aussi alors…

Nous voilà donc partis vendredi matin à 8h en direction de la montagne (loin… bien loin dans le viseur tout de même et gros gros doutes sur mes capacités à y accéder). Souhaitant éviter autant que possible le gros axe, nous bifurquons au Col de Ternère vers notre piste échappatoire habituelle. Mauvaise idée car pour se mettre en jambes nous passerons près de 20’ à jardiner pour essayer de trouver un passage là où auparavant une piste existait. L’eau est passée, et elle a tout emporté, arbres déchiquetés, rives balayées, cailloux et déchets charriés et déposés à des endroits improbables... c’est un spectacle de désolation auquel nous devrions peut-être commencer à nous habituer vue la fréquence des évènements climatiques cataclysmiques qui nous est promise par les experts que nous n’écoutons de toutes façons pas... Suite à ce “léger” contretemps, nous décidons de revenir vers la “civilisation” et la fameuse 116. À peine engagés, frôlés par les nombreux véhicules je mesure l’ironie de la situation. Nous à rythme lent, non polluants (ok j’ai pas fait le complet bilan carbone non plus… ) tentons de nous rendre par nos propres moyens physiques dans cette montagne tant désirée mais presque devenue inaccessible pour la plupart, c’est encore plus grotesque que le lièvre et la tortue ! Petit détour par une voie verte à nouveau pour éviter encore un peu de 116, et à partir de Villefranche, nous sommes seuls. La route, à 4 voies à cet endroit là, s’étire devant nous silencieusement, dans une vision post-apocalyptique ma foi pas si désagréable que ça (disons que dans mon schéma simpliste de l’apocalypse qui nous tend les bras, c’est plus de pétrole plus de bagnole… j’avais prévenu !). Nous avançons à mon rythme, devancés de temps en temps par Geo qui nous mitraille tels les Angelina et Brad de la route.

Petite pause à Olette, où le cafetier qui n'a certainement pas vu un vacancier depuis fin janvier, mais dispose à son comptoir de tous les ingénieurs ponts et chaussées du coin, ne semble pas disposé à être trop aimable avec les rares qui pourraient s’arrêter (voire repasser le lendemain). Il mettra un moment à se dérider, mais nous gratifiera quand même d’un conseil : la route des Garrotxes est fermée même aux vélos, vous prendrez un manche de 135€ vous verrez….eh bien merci quand même, bonne continuation et bonne journée ! Nous repartons donc avec pour ma part une légère appréhension à croiser la gendarmerie et devoir au mieux parlementer, au pire faire ½ tour, ce qui serait quand même un comble !

La route s'élève assez franchement dès la bifurcation, et nous prenons de l’altitude. Personne en vue aux divers croisements, ni flic, ni DIRSO, nous continuons. Nous atteignons une corniche promettant la casquette d’or à quiconque louperait son virage ou croiserait trop large… et on comprend pourquoi cette portion ne peut-être un délestage même ponctuel de la 116. Sur l’ensemble du trajet jusqu’à Sansa nous croiserons ou nous ferons dépasser par une petite quinzaine de véhicules, mais toujours pas un flic à l’horizon. Au bout de la route, tout au fond de la vallée (ohoh) se niche Sansa, petit hameau oublié du tourisme de masse, et au centre du village se trouve le gîte des Garrotxes, tenue par Monika et Paul. Accueil chaleureux et décontracté, cuisine très généreuse et locale, discussion ouverte avec Paul et l’adjoint au maire qui passait par là pour le café… on sent qu’eux aussi sont venus “se perdre” à Sansa pour enfin se retrouver. Après avoir tenu pendant près de 20 ans un restaurant très couru à la ville, et vécu uniquement pour travailler, ils ont choisi de se reconstruire ici, loin de tout… gagner moins pour enfin vivre plus et mieux en quelque sorte... ça me parle !

Après cette pause roborative pour nos estomacs et nos esprits, nous repartons sur la digestion, tant bien que mal, vers notre destination finale. Nous traverserons successivement deux autres villages eux aussi à l’écart des éclaboussures de l’or blanc. Ca monte toujours tranquillement, on commence à trouver de la neige, nous sommes en short/tee-shirt, il fait beau, on est bien là, “perdus” sur ce plateau. Pour rappel, 15j auparavant est tombé plus d’1 mètre de neige dont on ne voit plus aujourd'hui que quelques restes. Je veux bien ne pas croire qu’on puisse sentir à notre échelle les effets du réchauffement climatique effréné vers lequel nous nous dirigeons allègrement, mais je m’interroge sur l’incongruité d’une telle capsule météorologique, sans avoir de réponse…

Passage au col de la Llose, petit coucou à Fred le jurassien qui tient le refuge, en train de faire une initiation au biathlon sur une piste ma foi correctement enneigée… on se couvre et on entame la descente sur Odeillo. Nous rejoignons la civilisation et sa horde de touristes bronzés et habillés en fluo, au volant de 4x4 rugissants trouvant là dans ces quelques jours à la montagne la justification de leur achat. Rebelote, comme en bas, on est frôlés, klaxonnés par des conducteurs presque plus stressés et pressés alors qu’ils sont censés être en vacances non ? On imagine que même là ils essaient de “rentabiliser” leur séjour, quand on sait combien coûte le combo hébergement/forfait/matos pour une semaine “à la neige”. Et nous, pauvres débiles sur nos bicyclettes au milieu de tout ce cirque, avançant au rythme des seules possibilités de notre corps, quel contraste là encore. Entendons nous bien, je ne juge pas même si j’en ai plus que l’air, j’ai moi même pratiqué ce genre de tourisme façon Bronzés font du ski (avec même l’équipement fluo itou !) mais je suis en pleine transition. Nous avions commencé par nous mettre au ski de fond d’abord par saturation de la foule, pour retrouver la nature et le goût de l’effort perdu en ski alpin. Mes aspirations à un monde différent, à une façon de consommer plus en adéquation avec mon pessimisme quant à l’avenir, ont fini par nous conduire à des essais de voyage lent. Je ne pense pas reprendre un jour l’avion (mais sait on jamais…), alors oui j’irai moins loin, mais bon comme le dit le célèbre proverbe (brésilien) trouvé de façon prémonitoire dans une papillote de Noël “le bonheur n’est pas une destination, mais une façon de voyager”... je pense avoir trouvé la mienne.

 https://www.youtube.com/watch?v=5Km_djrfIaI

Et le concert dans toutes ces digressions me direz vous ? Mama mia ! force est de constater que les années passent, mais l’énergie sur scène est débordante, les mots sont toujours aussi percutants, l’humour présent, le contact avec le public facile... surtout quand le chanteur s’est mis à brancher mon mari le soir de la St Valentin… la St quoi déjà ?