Le sang jaune
Par jugement du 2 mai 2020, le Tribunal de Commerce de Grenoble a placé Mavic en redressement judiciaire conformément à la demande de la direction...
Je me souviens de ma visite dans les locaux de Mavic comme si c’était hier. J’étais là bas pour échanger autours de la co-création de produits sur mesure. En l'occurrence des chaussures Salomon fabriquées en France à 3 mains : celles de l’homme et d’un robot. J’avais même eu la chance de côtoyer Killian Jornet… il redescendait à peine de l’Himalaya et venait de subir une opération des épaules. Il avait refusé mon aide pour ouvrir la porte du VW T5 alors qu’avec ces 2 bras en écharpe ( et sa paille dans la poche ) il galérait pour arriver à la poignée. Le quart d’heure de discussion avait été magique : de ses premiers tour de roues à vélo à sa passion pour la photo en passant par les montagnettes que nous avions en commun dans les PO… mais je m’égare. J’étais donc chez Salomon qui, comme Mavic, appartenait à cette époque au groupe Amer. Ils sont d’ailleurs encore hébergés au même endroit : l’Annecy Design Center. Amer voulant renforcer la position de Mavic à l’international a cru bon de racheter un de ses concurrent : ENVE. Mais deux coqs dans la basse cour, c’est pas simple à gérer ! On en était là quand le chinois Anta Sport amorça une OPA sur Amer, qui garda finalement ENVE pour se débarrasser de Mavic chez Regent, un fond Américain... enfin c’est ce qu’on croyait car Amer avait en fait cédé Mavic à la société M Sports, basée au Delaware....vous suivez ?
L’annonce du redressement judiciaire ne fut donc pas une surprise pour nous, bien au contraire. Mais comment le dernier fleuron de l’industrie du cycle à la Française a pu en arriver là, après avoir connu son apogée en 2014. Pour être honnête, tout n’est pas la faute du dernier relayeur. Le firmament de Mavic a aussi coïncidé avec une baisse de fiabilité constatée par les utilisateurs les plus exigeants, que l'entreprise avait su rapidement surmonter, mais techniquement au moins, l'image avait sans doute un peu souffert. Cette fameuse image de marque, qui sous l’influence de Salomon, a poussé Mavic à utiliser le " sang jaune " pour vendre autre chose que de la roue afin d’assurer sa croissance. La fringue, puisque c’est de ça qu’on parle, même si elle est techniquement au top et s’appuie sporadiquement sur un savoir faire local, est basée sur un produit fabriqué à bas coût en Asie et dépendant d’un marketing à outrance, que Mavic assure notamment en inondant le tour de France de voitures jaunes, là où Salomon monte sur les épaules d’un Killian Jornet figure de proue du trail mondial.
Pourtant Mavic c’est surtout un outil de prototypage qui m’avait ébloui lors de ma visite : un véritable outil de production Made in France. Autant vous dire que j’avais zappé le parking des voitures jaunes pour m’éterniser dans ce paradis de faiseurs. On y trouve de quoi tout fabriquer de A et Z. C’est là que sont faites les pré-séries, là où se développent les savoir-faire, avant de les implanter dans l’usine de St Trivier pour certains, ou en Europe de l’Est pour d’autres. On y trouve les bancs de torture qui m’ont fait comprendre pourquoi les Crossmax céramique de mes débuts en VTT étaient indestructibles.
Mais ce redressement est finalement une bonne nouvelle pour Mavic. D’abord parce qu’il a été anticipé en interne, ensuite parce que cette procédure du droit Français va leur permettre de :
- s'affranchir de l'actionnaire qui perd la main sur la gestion et les décisions,
- geler le passif pour continuer à assurer un fonctionnement " normal " avec ces clients,
- sauver l'emploi en trouvant un repreneur reconnu pour établir une stratégie durable.
Mavic est une entreprise de l'ancien monde et c’est peu de le dire puisqu’elle a été créée en 1889. Mais si elle a tenu aussi longtemps c’est qu’elle a su innover. Je ne peux oublier que Mavic c’était dès 1979 un groupe complet avec transmission et freinage. Et en 1999 le premier groupe électrique avant de devenir la même année le pape de la jante tubeless.
Mavic, c’est la grand-mère que Caminade aimerait avoir, pour profiter de sa sage expérience, mais aussi pour s’en occuper plutôt qu’elle finisse en EPHAD. Mais pour ça il va sans doute falloir :
- retrouver de l'agilité,
- innover sur la roue et ce qu'il y a autour : le vélo,
- communiquer sur une production locale,
- réfléchir au vélo en tant que moyen de transport.
Ces 4 points sont d'ailleurs ce qui permet à Caminade de bien s'en sortir malgré la " crise ".
La richesse d'une entreprise est basée sur les Hommes qui la composent... et chez Mavic j'ai vu ( et discuté avec ) de bonnes personnes. C’est pourquoi, nous continuons à leur faire confiance. Ils font de bonnes roues, qui plus est avec des jantes fabriquées en France et avant sans doute de tout refabriquer en local... C'est d'ailleurs la clé : le fabriqué soit même en France pour diminuer le nombre de maillons de la chaîne. Du coup la vente directe est un passage obligé... et ça, Mavic l’a déjà compris !
Pardon d'avoir émis un avis ( voire même des idées ) sur l'avenir de notre champion national en titre, mais quand on voit ce que ROSSIGNOL est en train de faire du challenger TIME on peut pas ronger son frein en silence !
Brice EPAILLY
Parution : 12/05/2020