Le journal des cons finis - Semaine #5
Comme vous l’avez bien compris depuis de quelques semaines, Caminade s’apprête à déménager en Octobre prochain. Pas pour voir plus grand mais pour voir plus large. Pour bâtir localement le monde que nous voulons : pour nous, nos enfants et nos parents.
Brice EPAILLY
Actuellement l’atelier Caminade est au fond de mon jardin, dans un bâtiment que nous réservions pour nos parents, quand sera venu le temps de s’occuper d’eux comme ils se sont occupés de nous. En Octobre prochain, cet open-space qui aura vu grandir Caminade sera vide. Nos parents respectifs se portant encore très bien, il va falloir trouver une autre destination pour ce lieu de vie. Airbnb, très peu pour moi. Bed and Breakfast, c’est pas con pour voir des gens. Warmshowers, c’est mieux pour les comprendre. Mais le Woofing c’est le top, pour apprendre d’eux.
L’éducation libertaire
En parlant d’apprendre, il faudrait que je fasse la synthèse de mon 1er métier et de l’expérience acquise avec Caminade. Pas pour monter ma propre école, mais pour faire bénéficier mon fils de cette expérience. Tous les parents le savent ou le réalisent avec ce confinement, les enfants font exactement l’inverse de ce qu’on leur dit de faire. C’est pas de l’esprit de contradiction mais souvent un manque d’explication quant au pourquoi du faire : la quête du sens. C’est pas que mon fils ne veuille pas bosser à l’école, bien au contraire, c’est un bon petit soldat qui rentre presque parfaitement dans le moule du futur bon consommateur que l’école construit pour lui. S’il suit la ligne, il pourra même prétendre à gravir les échelons de l’ascenseur social tout en prenant soin de ne pas trop écraser les autres ou du moins de ne pas se salir les chaussures en les écrasant. Mais j’aimerai lui montrer autre chose et je vais me servir de cet espace libre pour y parvenir. Une mise à disposition d’outils ( pédagogiques ou pas), ayant pour but de susciter sa curiosité. Jeune, j’avais accès au mini atelier de bricolage de mon père, laissé vide en semaine. C’est là que j’ai mis le feu à la tondeuse en ressoudant le pot d’échappement, là où j’ai transformé ma mobylette en dragster, là où j’ai appris à me servir de mes 10 doigts grâce aux outils mis à ma disposition. Mon père aurait voulu faire de moi un mécano, il aurait pas fait mieux… je me rappelle pas qu’il m’ait aidé, il a dû pourtant le faire, puisqu'il me faisait confiance : un saut dans le vide pour des parents plutôt enclins au “ fais pas ci, fais pas ça “. Quand j’étais prof je pratiquais la pédagogie inductive, là j’ai envie d’y rajouter une peu d’anarchie et tester la pédagogie libertaire. Je vais donc utiliser l’espace vide laissé pour y monter un FabLab familial. Il servira pour les semis de printemps de maman et la passion de papa pour les vieilles motos, ou l’inverse. On y rangera notre première fusée à eau, le vieux microscope et nos collections de BD. Depuis que je bosse pour Caminade je n’ai plus d’atelier à moi, mais je vais le re-créer pour lui. On pourra y fabriquer des frondes anti-drones, taguer les murs, y stocker nos instruments de musique… ça sera à la fois une salle de jeu pour adultes et une fabrique d’apprenti de la vie.
L’insociable sociabilité de l’homme
Même s’ils ne vont plus à l’école, nos enfants sont en manque car ça reste LE lieu de sociabilisation et par ces temps confinés on s’aperçoit que c’est bien là l’essentiel. C’est pas le sport qui nous manque, il sert d’ailleurs plus d’exutoire que d’exhausteur de goût à la vie. Si vous le pratiquez pour votre santé, veillez à ne pas tomber dans la contradiction d’aller travailler en voiture et de monter sur le home-trainer le soir venu. Faire du sport virtuellement commence même à aliéner les plus motivés. Parader sur Facebook ne suffit plus au bonheur. Et Amazon, ne peut rien faire pour remonter le moral des consommateurs qui réalisent jour après jour le sens réel de la vie. Pour nous adultes, c’est le lieu de travail qui sert de berceau aux relations sociales. Mais sous le coup d’une hiérarchie pyramidale, elles sont souvent biaisées. Les conf/call ne deviennent agréables qu’en mode apéros-WhatsApp où les conversations, de plus en plus intéressantes, permettent aussi de renouer les liens familiaux. Certes on choisit pas sa famille, mais on choisit pas non plus ses collègues de bureau ( à part chez Caminade bien sûr). Et quand on passe plus de temps au bureau qu’en famille ça peut vite devenir pesant, sauf à se prosterner toutes les fins de mois sur son bulletin de salaire. Kant disait que l’homme à tendance à s’associer pour “ être plus qu’un homme “ puis à s’isoler pour vivre selon ses désirs. Mais c’est un mix des 2 qui nous permettra de trouver un équilibre. Etre en accord d’abord avec soi même permet de mieux comprendre ceux qui nous entourent. Donc je ne veux pas me servir de l’école comme garderie ( ni des EPHAD comme débarras familial où l’on n’ose même plus compter les ravages du Covid-19 ). Et c’est pas la décision de rouvrir les clusters pédagogiques tout en gardant les bars fermés qui va m’encourager à y remettre mon fils.
Un jour sans fin
Comme dit mon beau-père : “ tu a pris plaisir à le faire, donc tu te le gardes “... ça tombe bien, je prends aussi plaisir à le garder jour après jour, même s’il est plus chiant que sa mère et moi réunis. Faire des gosses pour pas s’en occuper, c’est comme travailler 48 semaines en rêvant aux 5 semaines de congés ou faire un travail de merde en espérant une retraite heureuse : c’est contre productif. Cette période de confinement, nous montre à l’inverse qu’on peut facilement réussir sa journée sans être un enfant en vacances ou un adulte à la retraite. Si les actes de la joie sont : fonder, aimer, agir, rêver… il suffit de les alimenter un peu tous les jours pour cultiver son bonheur. Travailler, s’aérer, interagir avec les autres, sourcer sa nourriture... nos vrais besoins sont simples, il suffit juste de les lister. Bruno Latour va encore plus loin en nous faisant réfléchir sur “ nos moyens de subsistance et ce à quoi nous sommes attachés”. Jour après jour, attelons nous à améliorer notre vie. Certains diront vivons chaque jour comme si c’était le dernier. Chez Caminade, nous sommes des privilégiés : nous nous sommes choisis, nous vivons dans un village où nos habitudes ( y compris sportives ) n’ont pas changé… nous travaillons juste moins et c’est pas désagréable. Nous travaillons surtout à montrer qu’une autre façon de faire est possible. Et en ce moment, nous trouvons des oreilles attentives et un terreau fertile… d’ailleurs on vient de nous en livrer 12 tonnes pour finir nos potagers !
Parution : 20/04/2020