Et si c'était ça le tourisme ?
Le tourisme est mort, vive le tourisme. Après avoir été réservé à une élite, nous sommes la 4ème génération à connaitre la massification du tourisme (même si seulement 40% des français partent en vacances). Chez les jeunes, la lassitude se fait sentir et pour être honnête, les vacances à Djerba ne me font pas du tout rêver. En parallèle, j'ai toujours senti que l'aventure était au coin de la rue à condition de laisser de la place à l'autre, au temps et à l'imprévu. Cette fin de semaine dernière, j'ai pris 3 jours de pause pour partir à la découverte de la vallée voisine avec mon pote Gabi et nos VTT en guise d'outils d'exploration.
Texte : Geoffrey Buisan & Photos : Gabriel Tronche
Tout sauf cocher des cases !
Je suis monté en haut du Canigou, j'ai gravi le Mont Blanc, etc... Même dans notre spectre de tourisme sportif la notion de consumérisme persiste. En parlant de sommets, ça aurait pu être tentant de s'envoyer les petits MUST DO du coin mais avec Gabi, on a décidé de ralentir, de laisser de la place à l'imprévisible, un modeste acte de résistance face à la célérité de notre société.
Départ Ille sur Têt en bus pour monter 30km plus loin dans la vallée du Conflent, chez les conflentois donc. Laisser la voiture à la maison est notre manière de prendre le bon rythme, ce même rythme qui laisse de la place aux partages de nos états d'âmes respectifs. Arrivés à Prades, on monte direction Mosset pour déjeuner dans un bistrot dont le charme m'a conquis la semaine passée. Une affaire de famille qui valorise ses produits de la Terre à l'assiette. Une démarche assumée dont la philosophie résonne avec la nôtre.
C'est dans ce bistrot de pays qui porte le nom du cours d'eau La Castellane, que nous rencontrons Pilou et ses collègues, les habitués de la maison. Toujours prêt à lancer une vanne sur les cyclistes que nous sommes, et suffisamment respectueux pour nous laisser le temps de savourer le magnifique plat du jour en toute intimité. Les saveurs de ce moment sont celles de l'authenticité et pour cause, la table qui se dresse derrière nous n'est autre que celle de la fratrie Mossetoise. La gérante du lieu avec certainement ses frangins et sa mère, une moyenne d'âge de 30 ans pour ce trio qui me conforte dans la capacité de notre génération à montrer qu'on peut être heureux tout en sortant des sentiers battus. Leur écosystème, ils l'ont créé. Que ça soit en cuisine, à la ferme ou derrière le bar, la transversalité de leur "business plan" basé sur des savoirs faire réels ferait pâlir plus d'un ingé en conseil stratégique et "sustainbility", comprendre résilience pour les non bilingues.
Le tourisme est partout et nul part à la fois, au travers de ce texte je n'ai pas envie de critiquer le tourisme de masse et les stations balnéaires. J'ai simplement envie de montrer qu'on peut être heureux autrement.
Après le tourisme, place au voyage
Alors que le touriste réclame la sécurité et l'efficacité, le voyageur ralentit en s'ouvrant à tous les détails, du futile au plus remarquable. Dès lors où on goûte à la richesse des mobilités douces, il est difficile d'embarquer dans un avion pour traverser la France en moins d'une heure.
L'expérience "slow" marque l'envie de renouer avec la philosophie de nos aventuriers préférés comme Jules Verne, Arthur Rimbaud ou encore Saint-Exupéry. L'exploration est le moteur de notre séjour avec Gabi. Se laisser guider par le temps, les sentiers et les rencontres pour résonner avec le monde. L'avantage avec cette nouvelle façon de voyager c'est qu'il n'y a pas une seule et unique façon de faire mais plutôt une infinité. Dans notre cas, nous avons écourté notre après midi VTT pour se poser au bord de la Castellane. Ouvrir un bouquin, prendre des notes, observer les poissons ou simplement laisser voguer nos pensées. Ce voyage là est doux, sage et reposant. Le voyage c'est l'art de lâché prise sur les programmes ficelés que nous savons pourtant si bien rétro planifiés.
Après une douche improvisé dans la rivière, nous sommes allés la où la bière fraîche coulait : Le café associatif de l'Alchimie. Un repère pour les conflentois aux idées subversives. On y rencontre des cerveaux de la conceptualisation avec qui les échanges sont riches notamment sur la planification écologique dont un des piliers nous concernent directement : la relocalisation des savoirs faire au service de produits durables. On y retrouve aussi un ami avec qui les discussions sont plus légères mais loin d'être inintéressantes.
Les rencontres humaines font parties intégrantes du voyage. Même si la montagne semble être l'endroit pour se retrouver, les moments forts restent ceux du partage ! En parlant de partage, la nuit commençait à tomber et l'heure était venue pour nous de commencer à monter en direction du massif du Canigou pour y dormir à ses pieds. Chez Marco Rollo, accompagnateur en canyon et escalade, j'avais passé un coup de fil à ce dernier dans l'après midi pour qu'il nous garde une place dans son habitat léger qu'il loue à l'occasion.
Je ne sais pas si ceux sont les bières ou le couscous de Hamid mais nous partons de l'Alchimie sur un rythme très posé (pour pas dire scotché), et le tout dans la mauvaise direction. Ma capacité à me convaincre me joue parfois des tours, au bout de 45 min de pédalage ballonné par la digestion en cours, nous arrivons à Taurinya. BINGO, nous sommes deux vallées à côté de la destination prévue ! Heureusement, le Gab' est de bonne composition et ça le fait gentiment marrer. A chaque problème sa solution, on s'enquille le col de Clara et on bascule en direction de Villerach. On arrive en même temps que la nuit, Marco avait fait chauffer l'eau, on déguste la tisane avec le sourire sur les lèvres en repensant à ma connerie.
Alors que le palpitant descend, la discussion s'ouvre avec Marco. C'est lors des présentations que Gabi rentre dans le vif du sujet en présentant le pourquoi de son voyage à Ille. Une escapade à la recherche de confiance afin d'enclencher un changement de vie. Ses 9 mois d'expériences professionnelles dans une grande entreprise Lyonnaise lui auront suffit pour porter une réflexion profonde sur son art de vie. Car c'est bien de cela dont on parle : L'art de vivre.
La touristification de notre quotidien
La "vie bonne"... dans les différents numéros du Journal des Cons Finis, nous vous confions ce qui pour nous représentait une bonne journée : travail, convivialité, mouvements. Après une lecture du dernier numéro de Socialter sur le tourisme, Philippe Bourdeau a mis le doigt sur un concept qui résonne avec notre façon de vivre : La touristification de notre quotidien. Une façon de se rendre utile à la société en s'inscrivant au quotidien dans des tâches qui nous passionnent. L'objectif commun étant le bonheur, il n'y a pas une seule façon de faire : A chacun selon ses moyens, à chacun ses besoins.
Travailler pour ensuite partir en vacances ne doit pas être une fatalité, notre quotidien doit être un tout. Un équilibre de vie où les très bons moments compensent les plus difficiles mais à l'échelle d'une journée et pas d'une année (cf. congés) voir d'une vie (cf. la retraite).
Avoir la vie bonne ne signifie pas ne rien faire, au contraire, c'est une succession de décisions courageuses pour sortir du rouage classique et prendre son pied tous les jours.
Pour ma part, l'avantage de se réaliser dans mon quotidien et d'observer mes besoins diminués drastiquement. Ces 2 jours de micro aventures avec Gabi dans la vallée voisine m'auront autant rempli qu'un voyage à l'autre bout de la planète. Pour autant mon impact écologique se limite à un déplacement en bus. Économiquement, j'ai participé au développement de ce tourisme interne en investissant dans l'économie locale (cf. le nombre de bières artisanales qu'on a bu). Socialement, nous avons aussi appris à comprendre l'autre, je pense à toutes les rencontres mais surtout à Yves. Un soixantenaire qui nous a accompagné dans la longue montée de la piste du Llech armé de son vélo électrique. Un partage intéressant malgré des avis divergents :)
Parution : 23/06/2020