Echappée belle autour du grand Mont Canigou
''Si vous voyagez d'un endroit à l'autre sans jamais vous y attacher, vous perdez le lien avec l'espace''
Hartmunt Rosa
A ceux qui s'attendent à lire un récit de grande aventure à la Mike Horn ou ceux qui pensent tomber
sur une chronique de carnet de voyage, vous êtes mal tombés. Je n'ai jamais eu la prétention de devenir une grande exploratrice, mais je ne vais pas vous mentir, ma rêverie s'est déjà laissée emporter par les récits de bikepacking à l'autre bout du monde. Comment ne pas être attiré par les retours d'expériences que l'on peut lire sur les sites un peu branchouille, accompagnés de photos à vous couper le souffle ? Ceux-là même qui donnent une impression de grande liberté, de dépassement de soi et qui arrivent à vous transmettre le folklore du pays visité.
Mais en un an et demi à user mon p'tit bike, ce n'est pas vraiment la direction que j'ai prise. Tout d'abord j'ai eu la malchance d'avoir un genou pas très conciliant... puis une chute de 4 mètres m'a freiné dans mon élan. Enfin et surtout, ma façon d'appréhender le voyage a quelque peu évolué. Mon binôme à deux roues et moi-même nous nous en sommes donc tenus, au plus loin, à la vallée d'à côté et au département voisin. Chaque sortie était une expérience à part entière et avait son histoire et ses rencontres. En revanche, sur le retour, c'est toujours avec la même impatience que j'attendais de voir le Mont Canigou, comme un repère de ce qui m'est familier. Cette montagne que je vois tous les jours depuis la plaine est devenu un symbole. A son approche j'arrive à évaluer la distance qu'il me reste à parcourir et je connais à peu près les caractéristiques du terrain, ses difficultés et les passages accessibles. Je dis bien ''à peu près'' parce qu'en réalité je ne l'ai jamais côtoyé dans son intimité. Quelque peu jaloux de mes fantasmes de grand voyage, je savais que le Canigou m'attendait au tournant.
LA sortie annuelle de l'équipe Caminade était l'occasion de m'y risquer pour la première fois. Nous étions 5 à l'appel ce week-end là. Nous sommes partis léger, mais certainement pas sans les kits de survie (autant dire du ravito) que j'avais minutieusement préparé la veille. La vengeance fût moins terrible que dans mon imaginaire, mais il se peut que ma mémoire me joue des tours et que j'en ai tout simplement, déjà oublié la douleur. J'ai oublié parce que j'ai savouré toute la durée de l'aventure, en me laissant aller aux délices de la nature et en me détachant complètement de la notion du temps. Celui-là même qui rythme les journées de l'homme moderne, que lui même tentera de fuir en sautant dans le premier avion pour Marrakech, Bali, Zanzibar ou tout autre pays exotique qui le couperait de son quotidien rythmé par les horloges et soutenu par le facteur de réussite. Pourtant il est impossible de s'en détacher totalement, parce qu'il sera rattrapé par l'heure du vol à ne pas rater et le nombre de jours qui le sépare de la fin des vacances, et qu'il va compter scrupuleusement. A l'issue de quoi il ajoute un petit drapeau du pays visité à sa collection sur instagram, il retourne travailler et il attend avec impatience la prochaine occasion de recommencer en comptant les mois, les jours puis les heures.
Durant ce week-end je suis partie sans montre ni téléphone. J'ai suivi le seul rythme imposé par ma capacité physique et celui de la fluctuation des températures. Nous partions à la fraiche et nous nous arrêtions souvent pour respirer et contempler. Là, pas de doute, je me souviens très bien du paysage évoluant des vignes de la plaine aux rhododendrons de moyenne montagne jusqu'aux sommets qui m'entouraient arrivée au point culminant.
Le mot d'ordre de ce week-end était la convivialité, il n'y avait pas de course au plus fort et on prenait le temps de se (re)connecter à ce qui a vraiment de l'importance. Les conditions de parcours relativement difficiles pour ma part, m'ont permis de prendre du temps pour méditer dans l'effort.
J'était attentive à ma respiration qui était la seule chose audible, du moins pour un certain temps. Car une fois que j'étais en mesure de respecter mon rythme, j'ai pu tendre l'oreille et écouter les sons qui m'entouraient. J'entendais alors le vent qui apportait en même temps le minimum de fraicheur nécessaire pour supporter la montée. Puis c'est le son des oiseaux et des grillons qui égaillait le parcours, celui de la roue libre aussi, parfois... Essayez de retrouver cette sensation aussi agréable et reposante soit-elle même à l'effort, pendant un city trip ! Pour peu que votre téléphone soit dans la poche et qu'il vous avertisse par notification du dernier commentaire de la cousine du meilleur ami de votre sœur, que vous ne connaissez même pas mais que vous avez vaguement aperçue à la dernière soirée... c'est peine perdue. Impossible alors de se détacher du milieu productiviste que l'on côtoie au quotidien. Pourtant cette attention, cette écoute dont nous avons oublié la sensibilité permettrait de ''désindustrialiser nos oreilles et de les extraire de la quête d'efficacité perpétuelle'' (Socialter ; Hors série - Comment nous pourrions vivre ? p68.)
Ces détails qui ont façonné mon week-end m'ont permis d'appréhender au mieux mon environnement et cette montagne qui guette mon retour quand je m'éloigne un peu mais que j'apprends à connaître de mieux en mieux. Cette expérience ne sera pas un souvenir que facebook me rappellera à la date du 11 juin de chaque année. Il est un voyage accessible que je peux répéter et qui ne sera jamais tout à fait le même, parce que je percevrai d'autres sons, que les paysages auront évolué et parce que l'on change aussi. Alors oui pour être honnête, quand le corps est en difficulté, il est dur de se passer complètement de données chiffrées et il m'arrivait de me renseigner sur le nombre de kilomètres ou de dénivelé à parcourir. On se rassure, mais en fin de compte ces indications ne servaient à rien, je savais que j'irais au bout, parce que même dans la difficulté je savourais par sa simplicité la splendeur de ce week-end. Je tiens à préserver la beauté des paysages qui m'ont accompagnée et qui sont menacés malgré eux alors à présent je rêverai différemment. Je penserai au voyage, pourquoi pas, mais il faudra qu'il dure longtemps, très longtemps. Parce que s'échapper sur le court terme sur le continent d'à côté n'est pas une solution ni pour notre environnement, ni pour notre bonheur.
Texte et photos : Laura Kollaard et Geoffrey Buisan
Parution : 20/06/2022