Histoire d'EAU

Histoire d'EAU

Accepter une situation c'est d'abord passer par les étapes du déni, de la colère, du marchandage et de la dépression. Les climatosceptiques ( 1/3 de la population ) en sont restés à la phase du déni. J'ai moi même mis quelques années à accepter de vivre dans un monde en décroissance et encore par moment, je marchande un peu. J'ai échappé à la dépression et à son pseudo-remède qui consiste à surjouer un bonheur trompeur sur les réseaux sociaux, mais j'avoue être en colère contre le récent manque d'eau dans les PO.

Brice EPAILLY

Depuis quelques mois, le département des Pyrénées Orientales passe dans les médias quasi quotidiennement, en cause, la pénurie d'eau. Le barrage de Vinça a refusé de se remplir. Des bouteilles d'eau en plastique ont été livrées dans plusieurs villages aux pieds des sentiers VTT chers à la Garoutade. Un filet d'eau coule de la source qui alimente la bière brassée à la Fabrica. Le ministre s'est déplacé et le préfet a tranché : la priorité ira aux touristes, suivis par l'agriculture intensive d'exportation... tous les autres se partageront les dernières gouttes.

Eau, rare

L'eau qui coule dans notre département reste dans notre département. De nos montagnes à presque 3000m d'altitude à la mer, l'eau à toujours coulé à flot. D'abord dans les nappes Quaternaires qui affleurent à la surface de la terre et ne plongent pas à plus de 30m. Elles sont le plus souvent alimentées par les pluies, les rivières et les nombreux canaux issus d'une agriculture ancestrale raisonnée. Leur débit est donc très variable et elles ne couvrent que la moitié du département : d'où les nombreux canaux. Elles sont très ( trop ? ) facile a exploiter ( car peu profondes ) et donc sensibles à la pollution de surface. Certains ont donc fait le choix de pomper beaucoup plus bas dans les nappes Pliocène. De l'eau captive que l'on trouve entre 30 et 250m et qui couvrirait tout le département. Une eau pure qui mettrait des centaines d'années à s'y infiltrer au départ de nos montagnes. Une belle réserve d'eau  dont le niveau baisse inexorablement d'année en année, laissant la possibilité à l'eau salée de s'y infiltrer, avec le risque d'avoir une eau saumâtre, impropre à la consommation et à l'irrigation.

Eau, désespoir

Comme je vous le disais, nous allons devoir partager et la répartition sera proportionnelle au PIB des activités concernées. Grâce au tourisme en tête avec ses 40%, les campings et autres hôtels pourront remplir leur piscine à vagues et autres toboggans géants, après avoir eu l'autorisation de transformer l'eau en neige pendant l'hiver. Il est vrai que le tourisme et ses 11.000 emplois surclasse l'agriculture avec ses 3.000 emplois. L'agriculture se contentera donc d'une irrigation diminuée à 25% en pompage de nappes et 50% par les canaux. Alors que les golfs pourront arroser la nuit en concurrence avec nos papis bichonneurs de potagers. Une incitation à la création de bassine ? Certains ont déjà commencé, mais à quand la première méga-bassine et sa défense fratricide ? En attendant, on aura droit au retour de la délation entre voisins jaloux du remplissage de piscine et de l'entretien du gazon anglais.

Eau, sécheresse ennemie

Il serait illusoire de penser que la crise n'est que passagère. Certes, une partie du problème peut-être solutionnée en ne vidant pas le barrage de Vinça à l'automne. Ce gaspillage au nom de la sécurité en prévision des fortes pluies printanières avait du sens avant que nos précipitations ne baissent de 60%. Mais ce manque d'eau de surface, c'est surtout la tentation de siphonner outrageusement la vielle eau profonde : où est le problème, tant qu'il y en reste ! Mais pour combien de temps ? Nos pluies ne sont issues qu'à 20% de l'évaporation de l'eau de mer, tout le reste provient de l'évaporation des végétaux : la bétonisation aggrave donc notre problème mais c'est 8500 emplois pour le BTP et de la taxe foncière pour les communes dans les PO.


La solution que nous voyons poindre et qui est défendue par nos dirigeants consiste à l'accaparation de l'eau en tant que bien public au nom d'un profit personnel. Heureusement que d'autres ont déjà accepté de faire autrement afin d'éviter la guerre de l'eau :

  • planter plutôt que bétonner, privilégier la rénovation au neuf et remettre en question les infrastructures routières dans une optique de crise énergétique durable
  • déployer une agriculture raisonnée dans le but de nourrir en priorité les locaux soumis aux contraintes d'une évolution climatique de moins en moins favorable

Plantons ensemble un verger-maraîcher

Et on pourrait aussi imaginer ne pas baser tous nos emplois sur le tourisme de masse et développer l'éco-tourisme local. Et puisqu'on parle d'emploi, les planifier heureux plutôt que d'essayer de maintenir des saisonniers précaires.

Et à l'échelle individuelle ? J'ai décidé de passer aux toilettes sèches... cela me permet de récupérer 100 à 200 litres d'eau grise par jour dans une micro-station ( je ne suis pas relié au réseau d'épuration ) pour arroser après traitement bactérien des fruitiers en manque d'eau, tout en fertilisant le potager. J'ai opté pour un jardin punk : pas de taille, pas d'arrosage et un réseau racinaire propice au stockage de l'eau. Bref, je me suis mis du côté de la solution et j'ai fait mon deuil du problème.

à réfléchir :

  • est-ce que les 50% de la baisse de la production agricole locale dûs à la sécheresse veulent dire que j'aurais 2 fois moins à manger dans mon assiette ?
  • garder l'eau des barrages en cas d'incendie pour palier au risque touristique qui double la population du département pendant l'été, est-ce acceptable pour la population locale ?
  • est-ce que cette guerre de l'eau entre les PIB de l'agriculture intensive et du tourisme de masse ne va pas se faire au détriment des locaux ? 

 

Parution : 11/05/2023